Il aura suffi d’un mot pour que des applaudissements marquent les débuts du débat. « Scop-TI », le nom de la coopérative bucco-rhodanienne née de 1 336 jours de grève des ex-Fralib, lancée par la première déléguée à prendre le micro. « La lutte ne se décide pas sur un calendrier, mais sur une réalité sociale, lance notre camarade Rim qui travaille dans l’entreprise. Elle ne se décrète pas, elle ne se planifie pas. Elle se construit, au moment du combat, par tous les moyens à disposition, pour faire avancer les choses. »
C’est tous ensemble qu’on va gagner
Une prise de parole combative, qui marque l’ouverture des débats sur le troisième thème du document d'orientation du 53e Congrès, intitulé « Pour une élévation et un élargissement du rapport de force », et qui fait écho à la volonté exprimée par d’autres camarades d’une CGT toujours plus offensive. « La banque où je travaille, BNP Paribas, a réalisé un bénéfice de plus de dix milliards d’euros, confie Nassim, de l’union départementale du 13. Elle annonce supprimer 721 postes, dans une banque ou 35 % des salariés sont précaires. Camarades, il y a de l’argent pour créer de l’emploi et alimenter les caisses de la protection sociale. Il ne faut pas rester muer mais agir ! » Les prises de parole se succèdent. D’autres camarades, venus de toute la France, partagent leur même envie d’une organisation plus revendicative, qui assume un rapport de force frontal avec les tenants du capital. « Nous, nous sommes partout et sommes invisibles, détaille Florence, agente des services de propreté des Ports et Docks. Pourtant, nous avons démontré notre utilité publique pendant la crise du Covid, comme nos camarades du ferroviaire ou de l’aéroportuaire. Nos entreprises de propreté se livrent des batailles féroces pour remporter des marchés, quelles que soient les conséquences sur notre travail. Nous, nous tenons notre rôle et la CGT est la première organisation de la branche. » Bernadette, retraitée, de la Fédération Textile, habillement, cuir et blanchisserie témoigne aussi à la tribune. « J'ai travaillé depuis l'âge de 18 ans dans le textile et l'habillement, puis le cuir avant la retraite. Avec le choix de la fermeture de l’usine, avec la CGT, nous avons fait grève pour sauver nos emplois. Cela a déjoué les pronostics de ceux qui voulaient transformer nos usines en musées. L’usine a été reprise par un sous-traitant de Vuitton et 180 emplois ont été créés. » Elle enchaîne : « Ici, des fermetures continuent et la vitrine médiatique des relocalisations occulte la réalité. Il faut des critères pour les aides publiques à la relocalisation. Nos territoires sont sinistrés socialement. La bataille pour l’évolution de nos productions, comme contre la sous-traitance et les salaires ne pourra pas se faire de l’extérieur de nos entreprises. Elles ne se feront pas sans les salariés, la CGT a un rôle central. »
Fin de mois, fin du monde, même combat
« Nombre de militants CGT sont aussi militants écologistes, insiste de son côté Sébastien, de la fédération équipement et environnement et de l’union départementale de Moselle. Et nous devons nous adresser à l'urgence écologique. Des milliers de postes utiles ont été détruits dans les services publics de l’environnement, les multinationales qui gouvernent la planète s’enrichissent de ces privatisations. Et, partout, le capitalisme verdâtre supprime des emplois. Le document d’orientation a été approfondi sur l'environnement grâce à de nombreux syndicats. La planification écologique doit se faire démocratiquement, par les travailleurs et leurs syndicats, par la prise du pouvoir sur les outils et avec les services publics et administrations et pour la création d'emplois utiles à la population et la planète. »
Une position défendue par de nombreux délégués ayant pris la parole à la tribune qui insistent sur l’importance du combat écologique. « Le monde est plus incertain que jamais, rappelle par exemple Emmanuelle, de l'Union fédérale des syndicats de l'État. L’exploitation irraisonnée des ressources a des conséquences tragiques. Réveillons-nous : le climat et la biodiversité ne sont pas simplement des sujets environnementaux. Il n'y a pas de choix à faire sur les problématiques entre social et environnement. Ils sont intimement liés. Aucune division de la CGT sur ces questions ne sera propice aux travailleurs. »
Intersyndicale oui, fusion non
La ligne est fixée. Reste à trancher la manière. « Je suis issue de l'US commerce et services de Paris, détaille Daniela. Dans les cafés, hôtels et restaurants règnent la sous-traitance. Les horaires sont éclatés et, dans les grands magasins, les employés ont plusieurs dizaines d’employeurs. Nos communautés de travail sont difficiles à constituer, mais ces derniers mois, les luttes victorieuses se sont multipliées à Monoprix, à la Fnac Saint-Lazare avec trois mois et demi de grève, dans les boutiques de la tour Eiffel avec l’obtention de 170 euros d’augmentation, en soutien des travailleurs sans papiers… Il nous faut prendre collectivement exemple sur les luttes qui fonctionnent et se mobiliser pour les élections professionnelles à venir. » Aux longs débats sur notre stratégie de syndicalisation qui se sont déroulés hier s’ajoute celle de notre relation aux organisations, qu'il s’agisse de centrales syndicales ou de partenaires associatifs et militants. « Les débats sont nourris depuis quatre jours, rappelle Jessica, cheminote du syndicat Bordeaux gare. C'est la preuve que notre CGT évolue au fil du temps. Pour autant, plusieurs articles du thème 3 font état d’une refondation avec FSU et Solidaires. L’unité syndicale a du bon, les retraites le montrent, mais si des syndicats différents existent, c’est parce qu’il existe des revendications différentes. Nous menons souvent des luttes avec Sud Rail mais nous disons non à la recomposition syndicale. Nous devons continuer à lutter côte à côte, à exprimer nos différences et nos revendications, et faire en sorte que la CGT soit motrice de ce front intersyndical comme elle l’est dans le combat contre la “réforme” des retraites. » Une inquiétude partagée par Loïc, pompier et membre de la CGT du Service départemental d'incendie et de secours (Sdis) d’Eure-et-Loir. « Le projet d’unification avec d’autres organisations, telles que FSU et Solidaires, ne devait être qu’une étude, critique-t-il. Il est aujourd’hui inscrit dans notre document d’orientation. On peut se demander pourquoi la démocratie interne à la CGT n'est pas respectée. Nous, nous sommes attachés à l'unité syndicale, et elle a plus de force que la fusion. La “réforme” des retraites le démontre. Que va devenir la CGT avec l’unification prônée ? Nous ne voulons pas perdre la première organisation en nombre d'adhérents. N’est-ce pas une façon de déstabiliser notre organisation ? Notre CGT a une riche histoire, non partagée par les autres organisations. » « Depuis des années, nous travaillons avec la FSU et Solidaires, Alternatiba et les partis politiques locaux pour mener des combats sociaux et environnementaux, pointe de l’autre côté Nicolas, d'Éduc’Action 66. Nous ne pensons pas la même chose, mais nous avons pu avancer ensemble sur des questions d’écologie ou de mobilité. Oui, nous ne partageons pas tout, mais devons-nous arrêter tout travail commun et ne discuter qu’entre convaincus ? Nous devons intégrer l’écologie dans nos cahiers revendicatifs, mettre en place un véritable débat. Aucun sujet ne doit être tabou à la CGT ou devenir le monopole de secteurs confirmés. Nos champs de syndicalisation et nos mandatés nous permettent d'impulser des campagnes, et les échanges avec les associations sont source d'enrichissement et les ont aussi fait évoluer de leur position initiale. Le travail pour l’unité syndicale est compliqué, mais les luttes successives nous rapprochent. Il est temps de concrétiser nos rapprochements. » « Nous apprécions particulièrement l’ouverture de la confédération aux autres syndicats et associations, notamment avec le collectif Plus jamais ça », argue dans le même sens Nicolas, de la métallurgie Isère, avant d’aborder la question de la consultation des salariés. « À l’article 397, détaille-t-il, nous ne pouvons pas défendre le fait de ne pas suivre à chaque fois les avis des salariés consultés. C’est refaire comme en France avec le référendum de 2005, ou comme Macron avec sa conférence sur le climat. Cette partie sur la consultation viendrait balayer tout le travail de syndicalisation qui serait mis en place. En Isère, nous consultons les salariés en présentant les avis du syndicat sur les risques, les perspectives. Partout où nous faisons cela, nous progressons. Notre travail de syndicalisation nous permet d’inverser la vapeur. Les citoyens veulent avoir leur mot à dire. C’est la même chose pour les travailleurs. L’heure n’est plus aux avant-gardes éclairées qui prennent la parole à la place des salariés. » Dont acte.